Chapitre 9

Harris se sentait plein de bonheur en pénétrant dans la salle de classe bruyante. Cette balade lui avait fait le plus grand bien. Penser à le faire plus souvent. Bon air, grands espaces  – rien de meilleur.

— Allez, les enfants, fermez ça ! — Il aboyait pour couvrir le tumulte. — Scalley, assis ! Et mouchez-moi ce nez. Thomas, quitte cette fenêtre et va t’asseoir. Maureen, range-moi ce miroir ! Bon. Vous avez tous passé un bon dimanche ? Ca suffit ! Je vais faire l’appel.

Les élèves avaient senti sa bonne humeur et avaient instinctivement compris que le chahut pourrait continuer un tout petit peu plus longtemps que de coutume. Pour une fois.

— Deux absents seulement. Pas mal pour un lundi matin. Oui, Carlos, qu’y a-t-il ? Comment ? Mais vous venez seulement d’entrer en classe ! Bon, vas-y, tu seras incapable de te concentrer sur ton travail, sinon.

Carlos, un maigrichon à la peau brune, le remercia et quitta la pièce, un rictus sur le visage dès qu’il fut dans le dos du professeur.

— Carol, distribue du papier ; Sheila, les crayons. Aujourd’hui, nous allons dessiner des animaux.

— M’sieu, m’sieu ! J’peux dessiner un cochon ?

— Pourquoi un cochon, Morris ?

— J’aurais qu’à copier le gros Toomey, M’sieu !

La victime de cette plaisanterie pivota sur son siège, au milieu des éclats de rire de la classe et insulta son insulteur.

— Viens donc ici, Morris, ordonna Harris d’une voix ferme. — Le gamin grimpa sur l’estrade, devant la classe. — Tu saurais me dessiner un singe ?

— Non, m’sieu.

— Tu n’aurais pourtant qu’à te regarder dans une glace.

Harris savait que toute la classe attendait une réplique cinglante et allait en rire, chaque élève acceptant implicitement d’en être la cible éventuelle une autre fois. Faible, mais correct pour un lundi matin, songea-t-il.

— Parfait, au travail, maintenant. L’animal que vous voudrez, mais attention, je n’en veux aucun qui me ressemble ! Quand vous aurez fini, nous choisirons le meilleur, et j’expliquerai pourquoi c’est le meilleur. N’oubliez pas les ombres et la lumière.

Il se mit à parcourir les rangées de pupitres, donnant des conseils, apportant des réponses, posant quelques questions. Il tomba en arrêt derrière l’épaule d’un gamin du nom de Barney, trop petit pour ses quatorze ans mais fort intelligent. C’était un dessinateur assez doué à qui il restait encore à apprendre les techniques de la peinture. Sa spécialité était le dessin à la plume, qu’il avait appris tout seul en copiant des bandes dessinées.

— Pourquoi donc as-tu choisi de dessiner un rat, Barney ?

— Chais pas, m’sieu, répliqua le gamin, suçant le bout de son porte-plume. J’en ai vu un l’aut’jour, un gros, comme Keogh...

Sa voix s’étrangla au souvenir de son petit camarade de classe. Tous les autres dressèrent l’oreille à l’évocation du petit disparu.

— Où ça ? demanda Harris.

— Près du canal. Tomlins Terrace.

— Tu as vu où il allait ?

— Il a sauté le mur et a fichu le camp dans les broussailles.

— Quelles broussailles ? Il n’y a pas de jardin, là-bas.

— Là où habitait l’éclusier, autrefois. C’est une vrai jungle, maintenant que le canal a été fermé.

Harris se souvenait vaguement de cette maison, assez à l’écart de la rue. Gamin, il avait accoutumé d’y aller regarder les péniches franchir l’écluse. L’éclusier aimait que les gosses le regardent travailler, à condition qu’ils ne se montrent pas insolents et il les encourageait à venir. Curieux qu’il en ait tout oublié. Il s’était rendu plusieurs fois à Tomuns Terrace, récemment, et ne s’était jamais souvenu de la vieille maison. C’était probablement à cause de cette « jungle » qui la masquait désormais.

— Tu as prévenu la police ? demanda-t-il au gamin.

— Bof, non !

Barney retourna à son dessin et ajouta quelques touches au portrait étonnamment ressemblant et méchant de son rat.

« Je l’aurais parié, songea Harris. Les gamins du coin ne se frottent guère aux flics quand ils n’y sont pas contraints. »

C’est alors que Carlos refit irruption dans la classe, en proie à la plus vive agitation.

— M’sieu, m’sieu ! Dans la cour de récré ! Y a une de ces saletés !

Il faisait de grands gestes en direction de la fenêtre, les yeux agrandis par l’excitation.

La classe entière se rua vers les fenêtres comme un seul homme.

— A vos places ! rugit Harris se hâtant lui-même vers une fenêtre.

Il prit une profonde inspiration devant le spectacle qui s’offrait à sa vue.

Il n’y avait pas « une de ces saletés » mais plusieurs. Et, sous ses yeux, de nouveaux arrivants vinrent en grossir le groupe. D’énormes rats noirs. Les rats. Ils grouillaient dans la cour, fixant les bâtiments. A chaque instant plus nombreux.

— Fermez toutes les fenêtres, ordonna-t-il placidement. Johnson, Barney, Smith, faites le tour des autres classes et dites à tous les professeurs de fermer les fenêtres. Scalley, tu vas aller dans le bureau de monsieur le Directeur et tu lui diras de regarder par la fenêtre. — Le directeur risquait de ne pas prendre d’emblée au sérieux un gamin. On risquait de perdre de précieuses secondes. — Que personne ne quitte la classe. Et pas de bruit. Cutts, c’est toi qui seras responsable.

C’était le plus grand des élèves ; il se leva. Les garçons étaient surexcités, les filles devenaient de plus en plus nerveuses.

Il quitta la salle à la hâte et se précipita vers le bureau du directeur. Alors qu’il parcourait les couloirs, des portes s’ouvrirent et quelques profs étonnés passèrent la tête.

— Qu’est-ce qui se passe ? lui demanda Ainsley, l’un des anciens.

Il le lui dit rapidement et reprit son chemin. Un silence étrange s’était abattu sur l’école tout entière, un silence que le premier hurlement d’une fillette rendue hystérique suffirait à rompre irrémédiablement.

Barney sortit à toute vitesse de l’une des salles de classe.

Harris l’attrapa par le bras.

— Doucement, Barney. Vas-y posément et calmement. N’effraye surtout pas les filles. Il faut éviter la panique, tu comprends ?

— Bien, m’sieu.

En atteignant le pied de l’escalier qui conduisait à l’étage supérieur et au bureau du directeur, Harris jeta les yeux sur les quelques marches qui, en sens inverse, conduisaient à la porte d’entrée. Celle-ci, bien sûr, était grande ouverte.

Il descendit lentement, la main sur la rampe pour assurer son équilibre. Au bas des marches, il crut entendre un bruit étouffé sur les marches de pierre du perron. Dissimulé derrière l’un des deux battants, il risqua un coup d’œil à l’extérieur, prêt à claquer simultanément les deux battants si besoin était. Sur le perron, il aperçut un tout jeune garçon qui observait les rongeurs rassemblés dans la cour.

« Bon sang, songea Harris horrifié, il a dû passer au beau milieu de ces monstres ! »

Il sortit, enleva rapidement le bambin dans ses bras et se précipita à l’intérieur. Se débarrassant de son fardeau sans cérémonie il se retourna pour fermer la porte. Les rats n’avaient pas bougé. Il ferma les lourds battants, vite mais sans bruît, et tira les verrous puis souffla pour la première fois depuis quelques minutes.

— Y a des bêtes dans la cour, m’sieu, lui annonça le petit homme de sept ans, sans la moindre peur dans ses yeux agrandis. Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui font, m’sieu ?

Ignorant cette question à laquelle il n’aurait trop su quoi répondre, Harris reprit le gamin dans ses bras et remonta en toute hâte les escaliers. Il le déposa sur le palier et lui enjoignit de gagner sa classe au plus vite. Il entendit le murmure des voix des profs qui commençaient à s’assembler dans le couloir. Il gravit quatre à quatre les marches conduisant au bureau du directeur et manqua de heurter ce dernier qui en sortait à l’instant même.

— Veuillez appeler la police, monsieur, pressa Harris. Je crains que nous n’ayons de gros ennuis.

— C’est déjà fait. Avez-vous vu ce qu’il y a dans la cour de récréation ?

— Tels sont bien les ennuis dont je parlais. Ce sont les rats géants, les tueurs.

Ils rentrèrent dans le bureau pour regarder par la fenêtre. Les rats continuaient de s’assembler. Ils pouvaient être deux cents.

— La cour en est noire, dit le jeune professeur qui n’en pouvait croire ses yeux.

— Que cherchent-ils ?

Le directeur se tournait vers Harris comme s’il faisait autorité en ce domaine.

— Les enfants, répliqua Harris.

— La police sera ici avant longtemps, mais qu’est-ce qu’elle va bien pouvoir faire ? Assurons-nous de la fermeture de toutes les portes et fenêtres. Que tous les enfants gagnent l’étage supérieur et s’y barricadent. J’ai du mal à croire que tout cela est réel, mais essayons de ne pas perdre de temps en vaines spéculations.

Le directeur se dirigea rapidement vers la porte.

— Assurez-vous de toutes les ouvertures, monsieur. Je vais organiser le personnel.

Harris emboîta le pas à la raide silhouette du directeur et redescendit l’escalier sur ses talons. Tandis que le vieil homme réclamait le silence et que les conversations s’éteignaient, Harris se fraya un chemin parmi les professeurs rassemblés dans le couloir et alla ouvrir la porte de chaque salle pour vérifier que les fenêtres y étaient fermées.

Dieu merci, les fenêtres du rez-de-chaussée et du premier étage étaient munies de grilles de fer qui les protégeaient contre d’éventuels tirs des champions de football en herbe. Une chance.

Tout paraissait bien fermé. Restait la salle des profs.

En entrant, il vit qu’une des fenêtres était ouverte. Comme elle donnait sur l’étroit passage séparant le bâtiment du mur d’enceinte, elle n’était pas munie de grille et, devant elle, sur le sol, se tenait l’une des hideuses créatures.

Comment avait-elle réussi à grimper le long du mur  – c’était une autre histoire. Toujours est-il que le rat était là, comme en mission de reconnaissance, précédent ses congénères. Il jetait des regards de droite et de gauche, reniflant l’air de son museau pointu. Il aperçut Harris et se dressa sur son train de derrière. Ainsi dressé, il mesurait bien une soixantaine de centimètres. Le professeur entra dans la pièce et referma la porte dans son dos. « Il faut que je ferme cette fenêtre », songea-t-il.

Ce rat n’était pas d’humeur à dévisager d’abord sa victime : il bondit de l’avant, droit vers la gorge de Harris. Mais le prof fit preuve de la même rapidité. Il s’empara d’une chaise au moment même où les muscles de l’animal se tendaient pour le saut et la balança devant lui. Elle heurta le corps du rat au milieu de son bond, comme une batte de cricket rencontrant une balle, et l’envoya dinguer de côté dans un grand craquement du bois.

Le rat atterrit sur ses pattes et se lança aussitôt sur Harris qui lui abattit la chaise sur le dos. Il resta étourdi quelques instants, sans être sérieusement blessé. Mais cela accorda au professeur un répit suffisant pour s’emparer du lourd tisonnier qui était posé le long du foyer de la cheminée éteinte. Avec plus de haine que de crainte, il l’abattit férocement sur le crâne mince du rat. Il y eut un choc sourd, écœurant. Il recommença. Et recommença encore. Il tourna ses regards vers la fenêtre, à temps pour s’apercevoir qu’un second venait d’arriver sur le rebord à force de griffes. Sans hésiter, il abattit encore son tisonnier, rejetant le rongeur dans l’étroit passage. Il ferma la fenêtre et s’y appuya, cherchant à reprendre souffle et s’efforçant de calmer le tremblement de ses genoux. La fenêtre était munie de ces vitres où un fin treillis de fil de fer est noyé dans le verre pour éviter qu’il se brise en éclats lors des chocs.

— Ca devrait les retenir, dit-il à haute voix.

Il regagna la porte de la salle des professeurs, prit la clé dans la serrure, sortit et ferma la porte à clé, mais non sans avoir jeté un regard à la créature qui gisait sur le tapis usé jusqu’à la corde.

Son corps mesurait bien une soixantaine de centimètres et la queue vingt-cinq. La fourrure luisante n’était pas véritablement noire. Plutôt un brun très sombre, maculé de taches noires. La tête paraissait relativement plus grosse que celle des rats ordinaires et portait des incisives longues et effilées. Les yeux aux paupières mi-closes avaient la fixité vitreuse de la mort, mais les dents à demi-découvertes formaient encore un début de sourire féroce et moqueur. Par-delà la mort, ce corps semblait encore effroyablement dangereux, comme si la maladie dont il était le vecteur pouvait se transmettre par simple contact.

Une fois dans le hall d’entrée, Harris vit que l’on conduisait les enfants vers l’escalier.

— Pas d’ennui, monsieur Harris ? Le directeur vint à sa rencontre.

— Non. J’ai tué un de ces monstres.

Il se rendit compte alors qu’il serrait toujours le tisonnier ensanglanté.

— Bravo. Ma foi, tout est hermétiquement fermé, et la police ne saurait tarder, maintenant ; j’estime donc que nous n’avons pas trop à nous en faire.

Le directeur se voulait rassurant mais son sourire disparut aussitôt que Harris lui eut demandé.

— Et la cave ?

Tous deux se tournèrent vers l’escalier qui y menait puis s’y dirigèrent en courant. Parvenus au sommet des marches, ils s’immobilisèrent et fouillèrent des yeux l’obscurité.

— Je pense qu’il n’y aura pas de problème de ce côté-là, dit le directeur. Le concierge doit probablement être en train de vérifier la chaudière. Il lui faut toujours un certain temps pour la remettre en marche, le lundi matin. Dieu sait si je me suis assez plaint du froid, chaque lundi.

Il s’interrompit, ennuyé de constater que le jeune professeur, sans l’écouter le moins du monde, avait poursuivi sa route.

Harris s’approcha non sans précautions de la porte de la cave, y appuya l’oreille et écouta. Le vieil homme l’ayant rejoint, il lui fit signe d’avoir à se taire, un doigt sur les lèvres.

— Enfin, mon vieux, ne soyez pas ridicule. — Impatienté, le vieux directeur l’écarta d’une bourrade et, empoignant le bec de cane, ouvrit violemment la porte. — Jenkins, est-ce que...

Sa voix mourut dans sa gorge devant le spectacle qui frappa sa vue.

Noires, fourmillantes, des créatures emplissaient la cave de leur grouillement. D’une petite fenêtre allongée et haut perchée, ouverte au niveau de la cour, un flot ininterrompu de vermine continuait de s’écouler dans la pièce.

Et tout cela se nourrissait de quelque chose, sur le sol. Tout ce que Harris et le directeur furent en mesure d’apercevoir fut un soulier qui émergeait du grouillement de formes noires. Le professeur tira son supérieur en arrière quand il vît plusieurs corps noirs bondir de l’avant. Sa main se referma sur la poignée et il tira la porte de toutes ses forces mais deux rats eurent le temps de se glisser par l’ouverture et un troisième resta coincé entre la porte et le chambranle. Il lui fallut trois coups de pied pour le rejeter en arrière dans la cave. Il fit volte-face pour apercevoir les autres qui gravissaient l’escalier sur les talons du directeur. Ce dernier leur jetait des regards effarés.

— Mon Dieu, ils sont énormes ! fut tout ce qu’il parvint à articuler.

— S’ils atteignent les enfants...commença Harris.

— Je vais les arrêter, Harris, je vais les arrêter. Occupez-vous de cette porte. Barricadez-la avec tout ce que vous pourrez trouver, elle est massive mais, on ne sait jamais ! — Le directeur reprenait peu à peu ses esprits. — Dès que ce sera fait, rejoignez-nous là-haut.

— Entendu, mais ne vous faites pas mordre ! cria Harris dans sa direction. Leur morsure est fatale. Empêchez-les de vous approcher.

Il se mit en quête de ce avec quoi il pourrait barricader la porte. Le magasin s’ouvrait à sa gauche. Il y pénétra et inspecta ce qui s’y trouvait. C’était une pièce sans fenêtre et il ne devait donc pas y avoir de danger. Il alluma la lumière. Des pupitres, des chaises, des tableaux noirs. Parfait. Il fit glisser un lourd pupitre jusqu’à la porte de la cave. Il parvint à le mettre debout à grand-peine et constata avec satisfaction qu’il couvrait entièrement la porte. Il l’y appuya du mieux qu’il put et regagna le magasin. Il remarqua un vieux radiateur, appuyé contre un mur et entreprit de le traîner sur le sol, produisant un boucan épouvantable. Il l’appliqua contre le pupitre et revint chercher des chaises.

C’est alors qu’il entendit un hurlement à l’étage supérieur. Il s’empara du tisonnier qu’il avait abandonné et se précipita dans l’escalier.

Le directeur était par terre dans le couloir, aux prises avec les deux horribles rats. Heureusement que la porte du bout du couloir avait été fermée et tous les enfants placés en sécurité à l’étage au-dessus. Le directeur serrait l’un des rats à la gorge, tentant de l’éloigner de son visage, tandis que l’autre lui rongeait un trou dans le flanc.

— A l’aide, je vous en prie ! cria-t-il à Harris d’un air implorant.

Réprimant un haut-le-cœur, sachant déjà le directeur perdu, Harris se précipita de l’avant et abattit un tisonnier sur l’un des deux rats, de toute sa force. L’animal poussa un cri haut perché, un octave environ au-dessus du cri de frayeur d’un enfant et s’arracha au flanc de l’homme qui se débattait. Le dos brisé, il n’en essaya pas moins de se retourner contre Harris. D’un coup de pied, celui-ci lui écrasa la tête. Il ne pouvait frapper le second rat, de peur d’atteindre le directeur ; il jeta donc le tisonnier et tendit les mains. Il saisit l’animal au garrot, prenant bien soin d’éviter les morsures de ses dents aiguës, et tenta de le tirer en arrière. Malheureusement, le directeur était trop effrayé pour relâcher sa propre étreinte sur le rongeur.

— Lâchez-le, lâchez-le donc ! hurla Harris en découvrant qu’il entraînait l’homme avec le rat.

Fou de terreur, le directeur ne l’entendit même pas. Le professeur appliqua donc le pied contre la poitrine du vieil homme et, d’une poussée, le renvoya sur le sol. L’autre lâcha brusquement prise et Harris bascula lui-même en arrière et s’abattit, tenant toujours le rat. Il se redressa sur un genou et tenta d’écraser le rongeur sur le sol. Il vit le directeur qui s’éloignait en rampant, les yeux rivés au monstre qui se débattait furieusement entre ses mains. Dans le lointain, il entendit les sirènes de la police. Qu’est-ce qu’ils fabriquent, bon sang ! Qu’est-ce que je vais faire de ce truc affreux ?

Il jeta un coup d’œil désespéré autour de soi. La bête échappait peu à peu à sa prise. Il ne pourrait pas la tenir encore très longtemps. Et une seule morsure, même s’il tuait cette foutue saloperie, une seule morsure et il était mort. Il y avait un grand aquarium, dans la salle 3 C. C’était la seule solution. Le noyer. Mais les portes étaient toutes fermées, bon sang. Et il ne parviendrait jamais à le retenir d’une seule main.

Il hurla :

— Monsieur Norton, la porte de 3 C ! Ouvrez-la, vite, je ne vais pas pouvoir tenir très longtemps !

Le directeur agita la tête de droite et de gauche, stupidement, sans quitter le rat des yeux.

— Ouvrez-moi cette putain de porte ! écuma Harris.

Le vieil homme finit par s’arracher à la contemplation du rat pour porter les yeux sur le visage empourpré du professeur. Il hocha lentement du chef et entreprit de se traîner jusqu’à la porte de la salle 3 C.

— Plus vite, plus vite ! cria Harris.

Il fallut une éternité pour que le directeur atteigne porte et lève une main tremblante et ensanglantée vers la poignée. Le sang qui rendait sa main glissante l’empêcha de faire jouer le bec de cane et il lui fallut s’y prendre à deux mains. La porte finit par s’ouvrir.

Harris traîna le rat qu’il tenait appliqué contre le sol, tentant de l’étrangler, mais ses doigts lui faisaient mal et il n’en avait pas la force. Le rat enfonçait ses griffes dans le bois du plancher et il fut contraint de le soulever légèrement ; il lança alors sa petite tête de droite et de gauche, cherchant à planter ses dents dans la chair de l’homme qui le tenait. Mais Harris faisait attention, très très attention. Quand il arriva à la porte, le directeur poussa un faible cri et décocha au rat un coup de pied qui faillit lui faire lâcher prise.

— Tirez-vous de là, bon sang ! — Il parlait bas, les dents serrées. — Foutez le camp !

Un ton plus haut.

Le directeur s’effaça, et Harris put entrer. Il vit le gros aquarium sur le rebord d’une fenêtre. Il s’en approcha. Quand il parvînt au niveau du bureau du professeur, il posa le rat dessus, appliquant de toutes ses forces la tête de l’animal contre la surface de bois, sans relâcher son étreinte. Puis il se dirigea vers l’aquarium en poussant devant lui le bureau, avec ses cuisses, les pattes arrière de l’animal lacérant ses vêtements et son corps.

Après un temps qui lui parut infini, le bureau vint buter contre le rebord de la fenêtre. Il grimpa sur la table, poussant devant lui le rat vers l’aquarium.

Avant l’effort final, il s’accorda un instant de repos. Rassemblant toutes ses forces, la sueur dégoulinant de son visage, il se souleva sur les coudes puis plongea le rat dans l’eau.

Ce fut comme si l’aquarium explosait. Il fut couvert d’eau, des poissons jaillirent en tous sens et retombèrent sur le plancher, mais il tint bon, enfonçant le plus possible la tête de l’animal, négligeant la douleur qui labourait ses bras et sa poitrine avec les griffes acérées du rongeur rendu fou. Il craignit un instant qu’il ne restât plus assez d’eau dans le récipient pour noyer le rat, ou encore que les mouvements désordonnés de la créature ne finissent par briser les parois de verre. Mais, peu à peu, le combat se fit moins violent, les soubresauts et les contorsions s’atténuèrent. Pour finir, tout mouvement cessa mais Harris maintint un moment encore sa prise. Il voulait être absolument sûr.

Levant les yeux, il regarda par la fenêtre. Plusieurs voitures de police étaient arrivées et les hommes en uniforme bleu se tenaient près du porche d’entrée, sans trop savoir quoi faire.

Il se décida à lâcher le cadavre et descendit du bureau. Ses vêtements en lambeaux étaient maculés de sang, en particulier sa chemise. Mais il était à peu près certain de n’avoir pas été mordu. Il retourna vers le directeur qui était resté assis près de la porte, la tête dans les mains.

— Tout va bien, monsieur. La police est arrivée. Ils nous en auront vite débarrassés.

Il s’agenouilla près du vieil homme qui tremblait.

— C’était horrible, horrible, articula le directeur en levant la tête. Effrayant. Ces ignobles bêtes m’attendaient. Elles n’ont pas fait mine de s’enfuir. Elles m’attendaient au sommet de l’escalier.

Harris ne sut quoi dire. Comment réconforter quelqu’un dont on sait qu’il sera mort dans les vingt-quatre heures ?

— Montons, monsieur. Nous serons plus en sécurité là-haut.

Il aida le directeur à se mettre debout. Ils enfilèrent le corridor jusqu’à la porte ouvrant sur l’escalier.

Quand Harris voulut l’ouvrir, il s’aperçut qu’elle était fermée à clé.

— Hé ! Ouvrez, bon sang ! Ils ne savent quand même pas se servir d’un bec de cane ! Inutile de fermer à clé !

Il martelait la porte du poing.

Ils entendirent un bruit de pas, puis celui des verrous qu’on tirait.

— Je suis désolé ! Nous n’avons pas compris qu’il restait encore quelqu’un en bas, s’excusa Ainsley, dont la tête chauve apparut dans l’encadrement. Oh, mon Dieu ! Tout va bien ? s’enquit-il anxieusement en apercevant leurs vêtements ensanglantés.

Ils portèrent presque le directeur de l’autre côté de la porte avant de la refermer soigneusement :

— Les gamins ? Tout va bien ? demanda Harris.

— Les filles sont très nerveuses, mais les garçons sont encore pleins de ressources, répondit Ainsley en reprenant son souffle, fatigué par le poids du directeur.

— Ils en auront besoin, marmonna Harris.

Ils emportèrent le directeur blessé dans son bureau et l’installèrent dans son fauteuil.

— Tout ira bien, maintenant, ne vous inquiétez pas pour moi. Retournez auprès des enfants.

Son visage était pâle et Harris se demanda si son imagination lui jouait des tours ou si une nuance jaune avait réellement fait son apparition sur les traits du directeur. Et la peau était-elle réellement plus tendue ou était-ce le raidissement dû à la douleur ?

— M. Ainsley va soigner vos blessures, monsieur, dit-il. Je vais aller voir ce qui se passe.

Il quitta le bureau non sans ressentir une certaine pitié pour cet homme qu’il n’avait jamais aimé mais qu’il avait au moins respecté. Il garderait longtemps l’image de cet homme respectable se traînant sur le sol comme un enfant terrifié.

Il pénétra dans une salle de classe pleine de professeurs et d’enfants et toutes les têtes se tournèrent vers lui. Il remarqua que la porte de communication avec la salle mitoyenne était ouverte et que des visages anxieux s’y encadraient, lui jetant des regards interrogateurs. Il fit signe aux enseignants de se rassembler autour de lui.

— Le directeur a été blessé, leur apprit-il mezzo voce pour que les enfants ne puissent l’entendre. Je crois que nous serons en sécurité, ici, mais nous allons prendre la précaution de renforcer les portes en les barricadant, au cas où les rats parviendraient à grimper jusqu’ici. Que toutes les fillettes se réunissent dans un coin, à l’écart des fenêtres. Les plus grands des garçons peuvent nous aider à apporter des pupitres et des chaises devant la porte.

Grimble, un petit homme dont le nez en bec renforçait encore la ressemblance avec un moineau, joua des coudes pour venir au premier rang.

— Ecoutez, en tant que vice-directeur, je...commença-t-il.

— L’heure n’est pas aux chicaneries et à la voie hiérarchique, mon vieux, lui lança Harris, et plus d’un jeune professeur réprima un sourire.

Grimble était connu pour ses manœuvres et sa mesquinerie. Il se détourna, offusqué.

Harris gagna une fenêtre qu’il ouvrit. Il aperçut un grand nombre de véhicules de police, parmi lesquels un fourgon chargé de chiens. Certains policiers étaient en train d’endosser des vêtements protecteurs. Deux voitures de pompiers tournèrent le coin de la rue, l’appel suraigu de leur sirène ajoutant au tumulte général. Une foule s’était assemblée dans la rue étroite.

Dans la cour, il vit que le nombre des rats avait considérablement diminué. Puis il comprit pourquoi. Ils s’engouffraient à deux ou trois de front dans le soupirail de la chaufferie. D’autres se dirigeait vers l’étroit passage, sur le côté du bâtiment. Il supposa qu’ils visaient la fenêtre de la salle des professeurs.

Il entendit des hurlements dans son dos. Il se retourna pour découvrir que l’une des petites filles faisait une crise de nerfs, entourée de petites camarades et d’une maîtresse qui essayaient de la calmer.

Une voix mécanique, inhumaine, l’interpella par l’intermédiaire d’un porte-voix électrique.

— Ca va là-haut ? Y a-t-il des blessés ?

Harris mit ses mains en porte-voix et répliqua :

— Tout va bien, jusqu’ici. Il y a quand même un blessé !

— Bon. Barricadez-vous bien ; nous ignorons encore ce que les rats vont faire, mais ils risquent de chercher à vous atteindre.

« Tu parles qu’ils vont chercher à nous atteindre, songea Harris. Pourquoi penses-tu qu’ils sont ici ? Pour prendre l’air ? » Il fulminait contre l’officier de police qui s’était détourné pour faire signe aux véhicules de police de dégager la voie pour les voitures de pompiers.

Puis, se tournant de nouveau vers l’école, il brandit son porte-voix :

— Nous allons commencer par leur lâcher les chiens, ça les occupera ; pendant ce temps, nous essaierons de vous atteindre avec les échelles de pompier.

De toute évidence, il savait que la morsure des rats était mortelle.

— Non ! hurla Harris en réponse. On ne pourra jamais faire descendre tous les gosses sur des échelles. Et vos chiens ne tiendront pas cinq minutes devant ces rats.

— Pas de panique, là-haut ! Je répète : pas de panique ! Les experts seront ici d’une minute à l’autre.

Harris poussa un juron étouffé, tandis que la voix continuait :

— Je crois qu’ils apportent des gaz pour résoudre la question. Gardez votre calme ; ils n’en ont plus pour longtemps.

Le professeur poussa un grognement. Combien de temps faudrait-il à ces monstres pour ronger un trou dans une porte ? Ce n’était pas des rats ordinaires, ils étaient intelligents, organisés. Un seul de ces monstres suffirait à semer la panique parmi les gamins. Il se remit à hurler :

— Ecoutez ! Essayez au moins d’inonder les caves avec les lances ! Les lances ! Inonder les étages inférieurs. Ca les effrayera !

Il vit que le policier dont il supposait qu’il était à la tête des opérations se mettait à conférer avec un pompier. Une activité fébrile régna soudain parmi les soldats du feu qui entreprirent de dérouler leurs longues lances à incendie. Pendant ce temps, les chiens ne cessaient d’aboyer, en proie à la plus vive agitation, tirant sur leur laisse, impatients d’en découdre avec les créatures noires. Deux d’entre eux parvinrent à se libérer et bondirent de l’avant. Ils se jetèrent au milieu des rats qui grouillaient encore dans la cour. Le premier, un lourd berger alsacien, saisit un rat à la nuque, l’agita de droite et de gauche, puis le jeta en l’air. Le second, un doberman massif, pénétra dans la masse de corps fourrés de noir, jouant des mâchoires de droite et de gauche.

Mais ils furent vite submergés de rongeurs, entraînés au sol, le pelage maculé de sang. Ils se relevèrent plusieurs fois, mais toujours pour être impitoyablement tirés vers le sol. On lâcha les autres chiens, une dizaine en tout, et ils se précipitèrent dans la mêlée. L’un d’entre eux trébucha même sur le dos des rongeurs et tomba par le soupirail jusque dans la cave.

Harris qui regardait d’en haut frémit à l’idée du sort qui l’y attendait.

Les chiens avaient beau être braves, ils n’étaient pas de taille contre ce grand nombre de rats géants. Bientôt, ceux qui n’étaient pas terrassés se débattaient désespérément pour tenter de revenir jusqu’aux maîtres de chien qui regardaient ce spectacle navrant. L’officier eut le plus grand mal à retenir les hommes eux-mêmes. Il était le seul à connaître le risque que représentait la morsure de cette vermine et n’avait nullement l’intention de laisser ses hommes risquer leur vie, aussi longtemps que la vie même des enfants ne serait pas en danger immédiat.

Tout à coup, les lances entrèrent en action. Elles balayèrent la cour de leur torrent d’eau glacée, ouvrant une coupe claire parmi les rats, les rejetant contre le mur de brique de l’école. Ils s’éparpillèrent dans toutes les directions, se chevauchant et se battant pour s’enfuir plus vite. Le sang des chiens eut tôt fait de disparaître, lavé par l’eau qui se déversait régulièrement.

On dirigea un jet sur le soupirail, précipitant quelques rats à l’intérieur de la chaufferie, mais empêchant ensuite tous ceux qui restaient d’y pénétrer.

Les enfants qui s’étaient maintenant rassemblés autour des fenêtres poussaient des hourras à la vue de la panique des rongeurs. Tandis que les rats commençaient à se disperser, beaucoup s’enfuyant en direction du bunker de béton où l’on gardait le charbon, un autre jet fut dirigé contre les fenêtres des salles du rez-de-chaussée. Il y eut un grand fracas de verre qui amena des sourires de délectation sur les lèvres de plus d’un élève.

Harris se détourna de la fenêtre et traversa la pièce, écartant gentiment les enfants qui se trouvaient sur son passage.

— Où est le directeur ? demanda-t-il à Grimble.

— Vous devriez le savoir, c’est vous qui étiez avec lui, non ? fut l’aigre réponse qu’il s’attira.

— Qu’on écarte un peu ces pupitres pour que je puisse passer. Il doit être encore dans son bureau.

On écarta les pupitres tout juste assez pour qu’il puisse se glisser hors de la pièce.

— Je vais aller prendre de leurs nouvelles — Ainsley est avec lui  – et j’en profiterai pour faire la tournée des portes du couloir. Remettez la barricade en place quand je serai sorti. Si je reviens très vite et que je cogne à la porte, faites-leur signe de vous passer les échelles. Mais ne rouvrez pas la porte ! J’irai dans le bureau du directeur et c’est de cette fenêtre-là que je m’échapperai.

Il referma la porte dans son dos et entendit le bruit des pupitres que l’on poussait en place. Il remarqua que la porte du bureau du directeur était grande ouverte. Il pressa le pas et poussa un soupir de soulagement en découvrant le vieil Ainsley, toujours occupé à panser les blessures du directeur.

— Il... Il a l’air d’aller mieux, dit Ainsley épongeant le front humide de son supérieur avec un mouchoir trempé dans l’eau.

— Parfait. Je vais aller faire la tournée des portes ; refermez celle-ci une fois que je serai parti. Restez ici et si jamais il se passe quelque chose... — Il fit silence le temps que la signification de ce « quelque chose » pénètre dans l’esprit de Ainsley. — S’il se passe quelque chose, faites signe aux pompiers par la fenêtre. Ils vous enverront une échelle.

Il ne leur suggéra pas de se joindre aux autres, dans les salles de classe  – la vue du sang du directeur risquait d’effrayer les plus petits. Jusqu’ici, les gamins s’étaient fort bien comportés, la vue du sang pourrait être la goutte qui fait déborder le vase.

Fermant la porte, il gagna rapidement l’escalier. Entrouvrant la porte, il risqua un coup d’œil. Rien à signaler. Parfait. Il l’ouvrit toute grande et s’engagea dans l’escalier, la refermant derrière lui. L’eau commençait à suinter sous la porte qui fermait l’étage inférieur. Il l’ouvrit avec précaution. Le couloir était vide. Il aperçut le cadavre de l’un des rats qui avaient attaqué le directeur. Il eut un instant l’impression de le voir remuer, mais il comprit qu’il flottait simplement au gré de l’eau montante.

Il pataugea au long du couloir, sans oublier de refermer la porte derrière lui, mais ouvrant au contraire toutes celles des salles de classe pour permettre à l’eau de pénétrer plus facilement. En passant devant la salle des profs il eut l’impression d’y entendre des bruits. Mais la cave constituait son problème le plus urgent. C’est là qu’il avait vu s’engouffrer la plupart des rats. Il lui fallait s’assurer que la porte résistait toujours et  – le cas échéant  – la renforcer encore avec des meubles. Il reviendrait ensuite s’occuper de la porte de la salle des profs.

Il descendit l’escalier qui menait à la cave, prenant bien soin de ne pas glisser sur l’eau qui y ruisselait. Il pensa que de nouvelles motopompes avaient dû arriver sur les lieux et être mises en action dans le but d’inonder complètement les étages inférieurs.

Il parvint en bas de l’escalier et gagna la porte en pataugeant. Derrière on rongeait, on grattait avec frénésie. Il se pencha en avant pour tendre l’oreille par-dessus le bruit de l’eau qui déferlait. Oui, ils étaient bien en train de ronger, de gratter furieusement pour s’ouvrir un chemin à travers la porte. Il écarta un peu le pupitre pour constater l’étendue des dégâts qu’ils avaient déjà causés. Bon Dieu ! Des fentes étaient apparues. Il entendait distinctement le bruit de mâchoires rongeant le bois de la porte. Il remit le pupitre en place et pataugea jusqu’au débarras. Là, sur une étagère, il aperçut d’un coup d’œil ce qu’il lui fallait : de lourdes draperies. De vieux rideaux que l’on accrochait dans le hall pour la distribution des prix. Il les tira à lui songeant que, pour la première fois, ils serviraient vraiment à quelque chose. Ils étaient fort lourds, mais un seul suffirait à son propos.

Il le posa sur un banc, pour éviter qu’il ne se mouille et ne devienne d’autant plus lourd. Il se dirigea ensuite vers une pile de vieux tableaux noirs, d’un modèle ancien  – de ceux qu’il fallait utiliser sur un chevalet  – et en prit deux. Il les déposa le long du mur, à l’extérieur du débarras. Puis il dégagea une nouvelle fois la porte de la chaufferie en écartant le radiateur et le pupitre.

Il aperçut des renflements dans le bois, là où les rats avaient pratiquement terminé de ronger une ouverture. Mon Dieu ! Quelle force dans ces mâchoires ! Il retourna à toute vitesse chercher le rideau dans le débarras. Quand il revint, le bois commençait à se fendre.

Il se sentit gagner par la panique et entreprit de bourrer le tissu dans la fente qui s’ouvrait sous la porte puis de le replier en autant de couches qu’il serait possible. S’emparant ensuite des tableaux noirs, il les appliqua contre la porte, au-dessus du rideau. Puis il remit le pupitre en place et le radiateur. Il paracheva son œuvre avec des chaises, des boîtes, tout ce qu’il jugea bon à renforcer encore sa barricade.

Enfin satisfait, il s’appuya contre le mur pour reprendre haleine. Il lui sembla entendre des cris aigus, derrière la porte, mais pensa que son esprit lui jouait peut-être des tours.

L’eau lui arrivait au genou. Il pataugea jusqu’à l’escalier et commença à grimper. Comme il arrivait sur la dernière marche, il entendit un craquement dans la direction de la salle des professeurs. Il vit une tête noire et pointue émerger de la porte, occupée encore à ronger le bois autour d’elle pour agrandir l’ouverture. Il resta un moment paralysé. Il n’y aurait donc pas de fin ? Il jeta des coups d’œil désespérés de droite et de gauche et aperçut le lourd tisonnier qui lui avait déjà servi, abandonné contre un mur, presque caché par l’eau qui montait. Il bondit de l’avant, glissa et s’étala de tout son long. Un coup d’œil dans son dos lui apprit que le rat avait réussi à passer les épaules par le trou. Il se jeta de l’avant, à quatre pattes, s’empara du tisonnier et se remit debout, utilisant le mur comme point d’appui.

Comme s’il avait compris ses intentions, le rat redoubla d’efforts pour se dégager. Son corps était presque entièrement dégagé, maintenant, et seuls ses flancs rebondis l’empêchaient encore de passer.

Harris se précipita, non sans prendre garde  – cette fois  – de ne pas tomber. Sans une seconde d’hésitation, il abattit de toutes ses forces le tisonnier sur le crâne étroit. Raté ! C’était incroyable mais le rat avait tourné à temps la tête sur le côté et l’arme n’avait frappé que le bois de la porte. Le rat découvrit les dents et les fit claquer dans la direction du professeur, les yeux pleins de haine. Mais aussi teintés de crainte. Harris le remarqua non sans en éprouver une certaine satisfaction. « C’en est donc fait de ton impassibilité, hein ? Tu as peur ! De moi ! » Il poussa un cri de fureur et son arme vola de nouveau. Le crâne s’ouvrit, laissant échapper le cerveau. Le corps entier se raidit puis retomba mollement.

Harris eut une nausée. Dans le fait de tuer  – même de tels monstres  – il n’y avait pas de plaisir. Il battit en retraite, sachant que le corps qui bloquait pour l’instant la sortie d’autres rats ne ferait pas long feu. S’il n’était pas poussé de force à travers le trou, il serait dévoré.

Comme il reculait, il vit que le corps était déjà agité de soubresauts indiquant qu’on l’attaquait par-derrière. Soudain, la moitié antérieure du cadavre tomba du trou. « C’est tout ce qu’il aura fallu, songea Harris. Moins d’une demi-minute pour dévorer tout son arrière-train. » Une nouvelle forme noire fit son apparition. Harris tourna les talons et prit la fuite, projetant son tisonnier en direction du rat, qu’il manqua.

Le rat sortit et un autre le remplaça aussitôt à l’ouverture, tandis qu’il se jetait à la poursuite du professeur qui battait en retraite.

Au bas de l’escalier, la porte s’ouvrit lentement à cause du poids de l’eau qui commençait à la bloquer. Harris eut tout juste le temps de passer. Comme il venait de s’y glisser et de la refermer, il entendit le bruit mat du corps du rat qui s’était lancé de l’autre côté. Des bruits de griffes suivirent aussitôt. Dans l’escalier, il n’y avait rien qu’il pût appuyer contre la porte pour la renforcer. Il se précipita jusqu’en haut des marches, ouvrant et refermant derrière lui la porte qui en gardait le sommet. Il se jeta dans le bureau du directeur, causant une grande frayeur au vieil Ainsley. Le directeur lui-même restait apparemment prostré.

Harris courut à la fenêtre et se pencha au dehors. Des échelles étaient déjà appliquées contre les fenêtres des classes mitoyennes et des pompiers s’apprêtaient à les gravir.

— Par ici ! cria-t-il. Amenez-en une par ici, et une lance !

L’un des pompiers le regarda.

— Les lances sont toutes en batterie en bas ! lança-t-il. — Puis il ajouta : — Ne vous en faites pas, nous viendrons bientôt vous chercher. Dès que les gosses seront en sécurité.

— Il nous faut une lance ici au plus vite ! répliqua Harris qui hurlait d’impatience. Il faut empêcher ces saletés de monter l’escalier !

Sans discuter, les pompiers entreprirent de redescendre.

— Ne nous énervons pas, monsieur Harris. — La tête de Grimble avait fait son apparition à une fenêtre voisine. — Sachons garder notre calme et...

— Merde !

La tête de Grimble disparut comme par enchantement. Harris sourit. Au moins cette journée n’aurait-elle pas été sans apporter quelques satisfactions compensatoires. Il vit les pompiers engagés dans une conversation avec leurs supérieurs, montrant du doigt sa fenêtre. Après un hochement de tête, ils se précipitèrent en direction de deux autres, occupés à manœuvrer une lance. Le long jet d’eau qui en sortait mourut, et la lance fut transportée au bas de l’échelle. Le premier pompier commença de gravir l’échelle, la lance enroulée autour de l’épaule, tandis que ses camarades déroulaient le tuyau à mesure.

Harris remarqua qu’une camionnette blanche aux armes de Dératiz était arrivée sur les lieux. Des hommes en combinaison blanche étaient occupés à en décharger de longs cylindres d’argent. Les gaz, pensa-t-il. La rue entière était maintenant bloquée par les véhicules de police et de pompiers et les ambulances. Un cordon de policiers retenait la foule aux deux extrémités de la rue. Il y distingua le visage anxieux de certains parents d’élèves, des femmes en pleurs suppliant les agents de les laisser passer.

Alors que le pompier atteignait le sommet de l’échelle, le véhicule qui la portait pivota, et elle vint se placer devant la fenêtre où se tenait Harris.

— Parfait, dit-il en aidant l’homme à pénétrer dans la pièce.

— Montrez-moi le chemin, dit le pompier, ignorant délibérément Ainsley et le directeur.

— Par ici. Suivez-moi, dit Harris tout en s’efforçant de faire entrer la plus grande longueur possible de tuyau par la fenêtre.

Il remarqua que d’autres hommes en uniforme étaient en train de gravir les échelles.

Tous deux transportèrent la lance dans le couloir.

— Attendez ! dit le professeur en s’immobilisant devant la porte. Il faut faire attention.

En jetant un coup d’œil par la minuscule raie entre le chambranle et la porte imperceptiblement entrouverte, il se demanda si un jour viendrait où il oserait de nouveau ouvrir une porte toute grande sans arrière-pensée. Persuadé qu’il n’y avait pas de danger, il ouvrit la porte. Ils descendirent quelques marches et regardèrent la porte du bas de l’escalier. En entendant le bruit de griffes et de mâchoires qui en provenait, le pompier regarda Harris.

— Mince alors ! C’est eux qui font ce raffut ?

— Oui, répondit Harris. C’est eux. Ils sont en train de s’ouvrir un passage. Et ils n’en ont pas pour longtemps : ils ont des dents comme des scies électriques.

— L’eau a l’air de remplir le rez-de-chaussée, commenta le pompier en retirant son casque pour se gratter le tête.

Harris hocha du chef. Il y avait bien une dizaine de centimètres d’eau au pied de l’escalier.

— La cave doit être complètement inondée, maintenant. Jusqu’aux fenêtres, en tout cas. Et les lances empêcheront les rats d’en sortir.

Ils entendirent des pas dans leur dos. Trois policiers, dont un gradé et deux pompiers, descendaient les marches pour les rejoindre.

Harris leur fit signe de rester où ils étaient.

— Les rats sont en train de percer la porte. Qu’un homme reste à la fenêtre, un autre à la porte du bureau et un autre en haut de l’escalier nous pourrons ainsi transmettre le signal pour la mise en eau de la lance.

— Le hic c’est qu’on ne pourra l’utiliser qu’à demi-puissance à cause des coudes, dit le pompier qui se tenait à ses côtés. Si l’on mettait toute la gomme, la force de l’eau redresserait le tuyau.

— On peut toujours remplacer le plus possible les coudes par des arrondis, dit le brigadier, joignant le geste à la parole.

Ils s’affairèrent tous jusqu’à ce que le tuyau suivît les différents tournants par des boucles aussi ouvertes que possible.

Le brigadier enjoignit à l’un des pompiers d’aller se placer devant la fenêtre, ses deux hommes occupant des positions stratégiques le long du trajet du tuyau. L’autre pompier aida son compagnon à maintenir fermement le tuyau pour que la pression ne le rejette pas d’un mur à l’autre.

— Nous sommes parés. Qu’elles sortent, ces saletés, commenta le brigadier.

Ils attendirent en silence, observant les petites fissures qui s’élargissaient au bas de la porte.

— Prêts, là-haut ? demanda le premier pompier. C’t’incroyab’...du bois massif.

— Ouais, sans compter que c’est la seconde fois ce matin, commenta le brigadier.

— Comment ça, la seconde fois ? demanda Harris.

— Ils ont attaqué tout un métro, en pleine heure de pointe. On n’en sait pas beaucoup plus pour le moment mais paraît que c’était un massacre. Moi-même j’y croyais pas jusqu’à ce que j’aie vu ceux-ci.

— Quoi, tout un train ? Ils ont attaqué tout un métro plein de voyageurs ?  — Harris dévisageait le policier.  — C’est pas vrai ?

— Oh, que si, répliqua le brigadier. Comme je vous disais, on ne sait pas encore tout. Il y a peut-être eu des exagérations. Mais je dois dire qu’on a été appelés, hier soir, à Shadwell Station. Trois morts. On a trouvé ce qui restait du chef de gare  - pas grand-chose  – dans un placard à balais. Ils avaient rongé la porte. On avait des consignes de discrétion, ch’crois qu’ils voulaient pas que ça se sache pour le moment, mais avec ce qui se passe aujourd’hui, ch’crois bien que c’est râpé : on n’étouffe pas des affaires pareilles !

Ils entendirent le bruit du bois qui se fend, et un trou s’ouvrit dans la surface de la porte.

— Paré ! hurla le pompier.

— Paré, paré, paré ! firent l’un après l’autre les hommes comme un écho.

Un rat se tortillait dans le trou.

Le tuyau se raidit sous la pression de l’eau, et le pompier dirigea aussitôt le jet sur la créature qui s’agitait. Il frappa la porte avec une fraction de seconde de retard. Le rat avait réussi à se libérer juste à temps, son arrière-train seul fut rejeté de côté par le puissant jet liquide. Le pompier visa bas, rejetant l’animal contre le mur.

— La porte. Ne vous occupez que de la porte. N’en laissez plus passer aucun, hurla Harris, mais il était déjà trop tard.

A la vitesse de l’éclair, un autre rat s’était précipité par le trou. Le pompier dirigea de nouveau son jet contre le trou, qu’il agrandit d’ailleurs en envoyant des éclats de bois voler de l’autre côté de la porte. Les deux rats qui avaient pu passer se dirigèrent vers l’escalier, mi-nageant, mi-trottant.

— Je m’en charge, rugit le brigadier, arrachant une hachette à la ceinture d’un des pompiers.

Il se dirigea à la rencontre des rats en prenant bien soin de ne pas couper la trajectoire de la lance. Pour lui accorder un peu plus de temps, le pompier s’arrangea pour modifier une fraction de seconde la trajectoire de sa lance, rejetant les deux créatures contre le mur du fond.

Le policier sauta les deux dernières marches et atterrit dans une gerbe d’éclaboussures, la hachette brandie au-dessus de la tête. Il glissa mais, dans ce mouvement même, parvint à porter un coup à l’un des deux rats, lui entaillant profondément le dos. Une nouvelle fois retentit le cri semblable à celui d’un enfant du monstre blessé. Sans chercher à parachever la destruction du premier, le policier se tourna vers le second mais ne parvint qu’à lui assener un coup du plat de son arme, qui l’envoya en arrière.

L’animal se tordit et bondit vers les jambes du brigadier. Celui-ci poussa un hurlement quand les dents acérées s’enfoncèrent dans son genou. Il tenta de frapper le tenace animal sur le côté, pour éviter d’entailler sa propre jambe avec l’arme ensanglantée. Désespérant de lui faire lâcher prise, il posa un genou en terre, tira le rat par la queue pour l’allonger contre le sol et, d’un coup de hache, le coupa presque en deux.

Le rat blessé essayait, pendant ce temps, de gagner l’escalier mais Harris descendit à sa rencontre et l’envoya voler d’un coup de pied alors qu’il atteignait la première marche. Le policier lui trancha la tête d’un coup. Puis il se débarrassa du second rat dont les mâchoires étaient restées fermées autour de son genou. Il grimpa l’escalier en boitillant et en poussant des jurons sonores.

Le pompier qui avait été posté à la fenêtre les rejoignit en courant :

— On vient de décharger les bouteilles de gaz dans la cour. Ils vont le pomper par les fenêtres. Ils disent que ce n’est pas dangereux pour les humains, à condition de ne pas en respirer trop, tout de même, et que c’est mortel pour ces saloperies. Couvrez-vous le visage avec un mouchoir humide pour ne pas suffoquer.

— Dites-leur de déverser du gaz par la fenêtre qui ouvre sur le côté du bâtiment. C’est celle de la salle des professeurs ; ils pourraient essayer de s’échapper par là ! hurla Harris pour couvrir le bruit de chute d’eau de la lance d’incendie.

— Vu !

Le pompier repartit au pas de course.

— Vous pensez que vous pouvez arriver à les contenir ? demanda Harris à l’homme qui maniait la lance.

— Pas de problème. Même si la porte finit par éclater sous la pression de la flotte, je peux les empêcher d’atteindre l’escalier jusqu’à ce que les gaz agissent.

Harris aida le brigadier blessé au genou à gagner l’étage supérieur. Tout en boitant, le policier dit :

— On m’a dit que ces morsures pouvaient être dangereuses. Est-ce que le gosse qui en est mort la semaine dernière ne venait pas de cette école ?

— C’est vrai, oui. Il s’appelait Keogh.

— C’est bien ça. Il a dû être salement mordu, non ?

— Je ne sais pas, mentit Harris.

Il le conduisit dans le bureau du directeur et l’assit sur une chaise à haut dossier.

— Mon Dieu ! Vous avez été blessé, vous aussi ? demanda Ainsley tout en allant chercher la boîte à pharmacie.

— Rien qu’une morsure. Pas grand-chose. Ca m’élance juste un peu, lui répondit le policier.

Harris poursuivit son chemin jusqu’à la porte de la classe à laquelle il frappa.

— Tout va bien, annonça-t-il, laissez-moi entrer.

Il entendit le bruit des meubles qu’on tirait, et la porte s’ouvrit devant lui. La pièce était maintenant entièrement remplie de professeurs, d’élèves, de pompiers et de policiers.

Il leva la main pour que les enfants fassent silence.

— Tout va bien, maintenant. Les escaliers sont bloqués par une lance à incendie et l’on est en train de pomper du gaz  – inoffensif pour nous  – dans les salles de l’étage inférieur. Nous devrions pouvoir partir très bientôt.

— Merci mille fois de nous faire connaître votre point de vue, répondit Grimble d’une voix fielleuse. Vous êtes bon. Je pense que M. le commissaire, ici présent, sera en mesure de prendre les choses en main. Avec votre permission, bien sûr.

« Voilà un rat que les gaz ne détruiront malheureusement pas », songea Harris.

Les rats furent lentement exterminés dans l’école. Ceux qui n’avaient pas été noyés dans la cave furent atteints par le gaz. Ceux du rez-de-chaussée s’agitèrent en tous sens, nageant dans l’eau qui montait, cherchant frénétiquement un moyen d’échapper. Ils escaladèrent les radiateurs, rongèrent les portes pour pénétrer dans les salles de classe, cherchèrent alors à s’en échapper par les fenêtres mais pour trouver leur retraite coupée par les grillages dont elles étaient munies. Ils sautèrent sur les pupitres, les placards, tout ce qui pouvait leur permettre d’éviter la noyade. C’est alors que les gaz commencèrent à s’infiltrer et, l’un après l’autre, au milieu de convulsions violentes, dressés d’abord sur leurs pattes de derrière, ils finirent par tomber, certains dans l’eau, d’autres à la surface même de ce qu’ils avaient pris pour planche de salut.

Nombreux furent ceux qui s’efforcèrent de passer par le trou de la porte, au fond du couloir, mais toujours le puissant jet d’eau les rejetait en arrière. Leur panique finit par les rendre fous. Ils commencèrent de se battre les uns avec les autres, à chaque fois qu’une collision se produisait ou que deux rats cherchaient à s’assurer la possession d’un même lieu relativement sûr. Sans raison apparente, un groupe de rats attaquait soudain un rat isolé et le tuait d’autant plus facilement que la victime n’offrait aucune résistance. Cela fait, le groupe se retournait contre l’un de ses membres et ainsi de suite. Le nombre de rats vivants ne cessait de diminuer ainsi.

Pour finir, il n’y eut plus de survivant.

Les Rats
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